Si des résultats positifs en matière de prévention et de maîtrise de l'évolution des coûts de gestion des déchets ménagers sont à noter par rapport à l'état des lieux de 2011 (1) , la majorité des recommandations formulées alors n'ont été que partiellement prises en compte, a constaté la Cour des comptes, dans son rapport public annuel 2014 (2) , rendu public mardi 11 février.
Parmi les évolutions encourageantes, la Cour des comptes rappelle que, comme en 2011, l'objectif de recycler les déchets à hauteur de 35% en 2012, puis de 45% en 2015 s'avère sur une bonne tendance. De la même manière, la diminution des ordures ménagères de 7% (3) était presque atteinte à l'horizon 2013. Ce dernier but exclut toutefois les déchets collectés de manière occasionnelle (encombrants, déchets verts, déblais et gravats, collecte en déchetteries ou en porte-à-porte).
Sur ce point, le futur plan national de prévention de la production des déchets propose toutefois de cibler "toutes les catégories de déchets (déchets minéraux, déchets dangereux, déchets non dangereux non minéraux), de tous les acteurs économiques (déchets des ménages, déchets des entreprises privées de biens et de services publics, déchets des administrations publiques)".
En revanche, l'objectif de diminution de 15% du stockage et de l'incinération reste encore éloigné.
Des outils d'évaluation des coûts à développer
Comme le précédent rapport concernant la transparence des coûts de la gestion des déchets ménagers, la généralisation du budget annexe et la mise en place d'une comptabilité analytique demeurent une nécessité.
En effet, la création d'un budget annexe est aujourd'hui obligatoire uniquement lorsque l'élimination des déchets relève d'un service financé par la redevance. Or, le financement par la taxe prédomine en France : il concerne plus des deux-tiers des communes et près de 90% de la population. Le produit de cette dernière se révèle près de dix fois supérieur à celui de la redevance : 6,09 Mds€ (dont 4,86 M€ prélevés par les groupements) contre 630 M€ pour la redevance (dont 572 M€ prélevés par les groupements).
En attendant la généralisation de comptabilité analytique dans les rapports annuels des maires (prévue par la feuille de route pour la transition écologique), des instruments de mesure des coûts comme le référentiel national de l'Ademe permettent néanmoins de disposer de repères. Ainsi la dernière étude de l'Agence, publiée en 2013, sur les données de 2010, montre une stabilisation des coûts techniques par tonne collectée (+ 1% entre 2007 et 2010 (4) ) et une baisse des coûts techniques en euros par habitant de 5%.
"Cette évolution générale cache toutefois de fortes disparités locales selon les efforts d'investissements effectivement réalisés par les collectivités au cours des années précédentes", souligne la Cour des comptes.
De plus, elle met en garde sur l'augmentation mécanique des coûts causée par la hausse de 7% à 10% de la TVA sur la collecte et le traitement à compter du 1er janvier 2014 pour les collectivités assujetties.
La Cour des comptes regrette également que ses recommandations pour mieux informer sur les coûts et la qualité du service n'aient pas été mises en oeuvre.
Vers un suivi des plans départementaux ?
Les 8 nouvelles recommandations de la Cour des Comptes :
Pour l'État :
1. déterminer l'échelon pertinent pour la planification (région ou département) et le traitement (département, syndicat mixte), et envisager de rendre les plans prescriptifs après approbation par les parties prenantes
2. renforcer le rôle des préfets en matière de contrôle et de suivi des plans, devenus prescriptifs, et conforter ce rôle en ce qui concerne l'autorisation et le contrôle des équipements nécessaires à l'application du principe de proximité
3. définir rapidement par décret les modalités de la prise en charge des déchets assimilés par le service public et généraliser l'assujettissement des entreprises à la redevance spéciale
4. favoriser la lutte contre les carences en exutoires par une modulation de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP)
5. rendre obligatoires le budget annexe déchets, quel que soit le mode de financement, et la généralisation d'une comptabilité analytique déchets
6. mettre en cohérence, en matière de financement du service public, les modes de gestion, aujourd'hui éclatés entre service public industriel et commercial, financé par la redevance, et service public administratif, financé par la taxe, notamment pour favoriser le développement de mécanismes incitatifs.
Pour l'Etat, l'Ademe et les collectivités :
7. encourager les collectivités à mettre en place une part incitative dans le financement du service public de gestion des déchets ménagers
8. poursuivre l'extension de la démarche de suivi des coûts mise en ouvre par l'Ademe.
Si les observatoires n'ont pas été créés, la Cour se réjouit de l'obligation de suivi introduit par un nouvel article du code de l'environnement (5) : l'autorité compétente doit en effet présenter à la commission consultative d'élaboration et de suivi, au moins une fois par an, un rapport relatif à la mise en oeuvre du plan (les modifications substantielles de l'état des lieux initial de la gestion des déchets et le suivi des indicateurs définis par le plan, accompagné de l'analyse des résultats obtenus).
La Cour des comptes regrette que le rôle du préfet n'ait pas été modifié. "S'il a été remédié aux principales irrégularités constatées en matière d'organisation de la gestion du service public des déchets, les préconisations visant à renforcer le rôle de l'Etat n'ont globalement pas été suivies, au motif que les préfets disposaient déjà du contrôle de légalité sur les décisions d'organisation et que la planification devait rester de la compétence des autorités locales", détaille-t-elle.
La tarification incitative se développe doucement
La tarification incitative ne s'est toujours pas généralisée. Fin 2012, 190 collectivités l'appliquaient pour une population couverte de 4,2 millions d'habitants (contre 600.000 avant 2009), selon l'Ademe. Le retard reste encore grand : alors que la loi du 3 août 2009 imposait une généralisation de la tarification incitative d'ici à 2014, seuls 6,5% de la population française sont aujourd'hui couverts par une telle tarification.
Autre manque : une clarification à propos des déchets assimilés (d'origine artisanale et commerciale pris en charge par le service public sans sujétions particulières). Aujourd'hui, la définition de ces derniers relève de la seule interprétation des collectivités, "ce qui entraîne d'importantes inégalités sur le territoire, voire des difficultés contentieuses en cas de refus de collecte", déplore la Cour. Un décret sur l'organisation de la collecte devrait prochainement déterminer les règles applicables, mais il ne fixerait pas de plafond quantitatif d'acceptabilité des déchets assimilés.
Les carences en exutoires : une difficulté persistante
"La gestion des déchets ménagers reste marquée par la difficulté persistante à mettre en place des filières de proximité quand les capacités de traitement sont insuffisantes", constate dans son rapport la Cour des comptes. Ainsi cette situation peut amener à un transport de déchets vers des sites de traitements finaux sur de longues distances et ainsi générer des coûts financiers et environnementaux substantiels. La Cour préconise (comme en 2011) de moduler en conséquence la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) pour favoriser la lutte contre les carences en exutoires.
La Cour rappelle également la nécessité d'une mise en cohérence des régimes de la taxe et de la redevance, de l'instauration de mécanismes incitatifs (tant pour la taxe que pour la redevance). Elle appelle également à la généralisation de la redevance spéciale, encore très peu utilisée. "Dans le cadre de la refonte globale des mécanismes de financement, cette redevance pourrait, en effet, constituer, pour les professionnels, la part variable d'un futur outil de financement incitatif", argumente-t-elle.
La feuille de route pour la transition écologique de 2013 prévoit quant à elle que l'assujettissement des entreprises à la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM) pourrait être supprimé au profit d'une seule redevance spéciale.